« Dans mes médias, j’ai le final cut » Sacré, Vincent. 

Disclaimer : Cet édito a été publié à l’origine sur le webzine Bordelais Slapzine (aujourd’hui inactif).

C’était le feuilleton de l’été, la prise de pouvoir de Vincent Bolloré, premier actionnaire de Vivendi, et par conséquent du groupe Canal +. L’homme d’affaires qu’on surnomme « le Petit prince du cash-flow » ou « Il Scalatore (le grimpeur) » est bien décidé à transformer la chaine cryptée en un empire médiatique et de la relever de sa chute qu’elle entreprend depuis quelques années. 

Alors Bolloré en fin stratège des médias, cela donne quoi ? S’il est visiblement plutôt doué pour s’immiscer dans les capitaux des entreprises et d’y prendre rapidement la tête (et actuellement, le secteur du jeu vidéo retient son souffle), il est moins efficace sur le cas de Canal. 

Comme le révèle Le Parisien (dont l’article a notamment eu comme effet selon Vivendi de plonger son action qui vaudra une plainte pour « diffusion d’informations trompeuses ayant eu des conséquences sur son titre dans le marché ».), la chute continue et même s’accélère. Pertes sèches d’abonnés et audiences en berne malgré les nouveaux formats (cela va jusqu’à une baisse de -44,5% pour Le Grand Journal). Pire, ce désintérêt pour la chaine entraine aussi des programmes qui étaient jusque là en bonne santé en termes d’audience comme le Canal Football Club, Le Petit Journal ou même les séries, autre pilier de Canal +. Les Revenants n’en reviennent pas d’avoir fait un bide pour leur saison 2. 

Bon, les audiences passons,  l’autre stratégie de Bolloré serait de réduire les couts trop importants des émissions. Qu’à cela ne tienne. Mais on n’est pas sûr que mettre 250 millions sur la table pour garder Cyril Hanouna soit raccord avec cette volonté.

Mais il a le sens des priorités quand même, me direz-vous. Une autre idée pour relancer Canal, cela va être *roulements de tambour * le retour du cryptage à l’ancienne : «Canal va reprendre son cryptage ancien, vous savez avec le criccrrccicro» Bravo Vincent, en plus de ta superbe imitation de ce grésillement mythique de la télévision française, tu es surtout raccord avec tes idées puisque cela te coutera encore plus cher depuis qu’on est passé à la TNT.

On a quand même bien cru à un moment que le vent allait tourner pour l’homme d’affaires breton. Quand il s’est attaqué aux sacro-saints, les meilleurs éditorialistes de France pour un certain Pierre Bourdieu, les Guignols de l’info. Pétitions de plus de 115 000 signatures, réactions de politiques criant leur amour des guignols, photos de couvertures Facebook remplaçant les « Je suis Charlie ». Ah ça, la France s’est levé pour défendre les guignols menacés d’une déprogrammation. Mais finalement, il a suffi d’une simple promesse de les conserver pour arrêter cet élan de révolte au sein des adorateurs des marionnettes. Les Guignols seront de retour le 9 novembre (soit près de deux mois après « la rentrée »). Oui enfin de retour… en crypté, sans ses auteurs historiques remerciés et avec une nouvelle ligne directrice (oui ça me fait mal de dire « éditoriale ») moins irrévérencieuse (parce que V.B il aime pas ça l’irrévérence) et plus axée sur l’actu people que politique. Comment on dit déjà ? Ça sent le sapin,cette histoire. Un comble pour des marionnettes en silicone. 

Et ce n’est malheureusement pas tout. Si on soulève le tapis, on découvre bien d’autres choses. Des enquêtes de Spécial Investigation sur le Crédit Mutuel (celle-ci finalement diffusé sur France 3) et la BNP censurée , des licenciements évités de justesse, des pressions notamment pour le patron du Zapping, et même certains chroniqueurs de la bande à Hanouna. Et cela, ne semble pas parti pour s’arranger malgré une convocation du CSA.

L’ambiance dans les couloirs de la quatrième chaine doivent être comparable à celle d’une impasse mexicaine. Dorénavant, la moindre pique à l’encontre du patron est légère, rapide, comme camouflée, comme par peur de se faire prendre.

Comme le titrait Libération dans son édito du 19 octobre dernier, « En tuant l’esprit Canal, Bolloré met la chaîne en danger » Monsieur Bolloré n’a-t-il pas encore compris que ce qui attirait les abonnés de Canal n’était peut être pas des émissions à moindre coût, rentable, et bien menées, mais un certain esprit irrévérencieux, libre qui fait (faisait ?) de cette chaine sa marque de fabrique ? Une chaine « de contre-pouvoir», oseront même certains.  

Ainsi comme l’écrit David Carzon: « Car à force de jouer avec ce qui constitue un socle de confiance entre une chaîne et ses abonnés, ce n’est pas seulement l’esprit Canal qu’il est en train de tuer, il met aussi en péril sa crédibilité et son modèle économique. » Et les chiffres tendent à prouver cette équation.

Paradoxalement, c’est comme si cet esprit mis à l’honneur par de nombreuses initiatives l’année dernière à l’occasion des 30 ans de la chaine venait de se fracasser contre un mur. C’est dur. Dur comme le décès d’Alain De Greef, ancien directeur des programmes de Canal + de 1986 à 2000, le 29 juin dernier. Celui-ci même que les Guignols avaient représenté  dans un sketch expliquant l’humour devant les sages du CSA . Le lendemain, Puremédias révélait le sombre destin des mêmes Guignols. Fin d’une époque. 

Enfin pour conclure cet édito bien amer, Slapzine vous invite à emprunter la Delorean de Marty McFly tout juste revenu de 1985, pour repartir en 2002, quand une situation bien similaire se déroulait et où les figures de la chaine avaient « pris les armes », tout en prenant le temps de s’attablé entre copains pour un Burger Quiz d’anthologie

Bolloré a prévu de prendre sa retraite le 17 février 2022, jour du bicentenaire de son entreprise familiale. Un simple tour de Delorean suffira pour voir s’il tiendra parole et ce qu’il sera advenu de Canal +. Mais ça, cela reste de la fiction. 

Crédit photo : Copyleft/Wikimedia Commons

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