Personal Space #2 : Hey Jamy, sommes-nous devenus des connards élitistes ?

Personal space, ce sont mes réflexions très personnelles et qui n’engagent que moi. Même si j’espère qu’elles résonneront quand même un peu chez toi aussi.

Juillet 2020. La conférence “Xbox Games Showcase” bat son plein. Parmi tous les titres annoncés ce jour-là, un certain jeu retient toute mon attention.

Une bande-annonce cinématique très classique. Une flèche qui parcourt des champs de bataille dans un décor fantasy. Une vue à la 1ère personne, une épée sertie de runes brillantes dans une main, un mystérieux sort pourpre dans un autre. Une créature des profondeurs qui s’apprête à émerger tel un Balrog hors de la Moria. Un titre mystérieux en conclusion. Avowed. Wow, okay « jeu dont je peine encore à prononcer le nom », je veux te manger.

S’ensuivent 5 ans de remorques, d’images, d’aperçus qui affinent l’univers du jeu. On y découvre un titre dans un univers déjà bien installé (Pillars of Eternity), une D.A aux couleurs vives qui sortent enfin de la palette dark fantasy grise et maussade dont on est habitués, une promesse d’un action-rpg à la 1re personne qui n’est pas sans rappeler une certaine franchise…

Bref, Avowed coche pas mal toutes mes cases. Nolib-core as fuck. Un jeu de rôle à l’ancienne qui mêle combat et exploration ? I’m in. Avec une surcouche d’un mood à la Oblivion et Bethesda des grands jours ? Pas la peine de me convaincre plus. Qui plus est, avec Obsidian aux commandes ? Elle est où ma foutue carte de crédit ?!

L’année 2025 pointe enfin le bout de son nez et Avowed débarque parmi tant d’autres gros jeux en ce mois de février. Si les voyants sont déjà au vert pour moi, il est toujours intéressant de regarder les reviews. Et d’après ce que je lis sur mes sources sûrs, le jeu a l’air non seulement d’être bon, mais aussi de remplir ses promesses. Je vois du 9/10, du 4/5… Non vraiment, je ne vois pas ce qui pourrait entacher cette sortie.

Un petit florilège de réactions sur la sortie d’Avowed

Ah bah merde alors.

Le Skyrim-Like de trop?

“Skyrim-like sans âme”, “ptdr le jeu de 2011, une honte en 2025”, “Le jeu a l’air éclaté”… Si on connait l’adage « le goût et les couleurs tout ça », j’avoue avoir du mal à comprendre les réactions de certains. Il suffit de voir la vidéo enthousiaste d’ExServ sur le jeu, puis de scroller dans les commentaires pour voir l’exact opposé, avec certains qui l’accusent de mauvaise foi et autres brimades habituels dans cette merveilleuse communauté du ✨GaMiNg✨.

Bien rapidement je perçois un début de réponse. De véritables « listes de courses » de problèmes pullulent dans les commentaires, les tweets et autres missives numériques sur le sujet. « Pas de romances, pas de karma, pas de PNJ qui marchent dans la rue… » Attends c’est pas vraiment des défauts ça, juste des features qui manquent, non ?
“On est à des années-lumière de Witcher 3”. Oui non mais okay, pause là… En quoi c’est un foutu problème ?!

Quand un jeu aussi culte que The Witcher 3 ou Baldur’s Gate 3 sort, il impose tout de suite un standard. De nouvelles features ou innovations qui vont laisser leur empreine dans le genre ou même dans le medium en général. C’est indéniable. Mais du coup pour certains, si un jeu ne récupère pas les ingrédients d’un ex-GOTY, il sera donc forcément disqualifié du titre de bon RPG “en big 2025”.
“Avec ce système de combat, cela aurait été un banger en 2011”. Bah diantre, pourquoi ça ne le serait pas aujourd’hui?

« On n’a pas le temps pour les jeux moyens »

Bien vite le même débat s’est installé dans mon cercle d’amis. Alors que j’exprimai mon achat quasi imminent du jeu, l’un d’eux a exprimé qu’il ne comprenait pas mon futur achat, puisque d’après ce qu’il avait lu en ligne, le jeu était très moyen. Face à sa réponse, j’ai exprimé tant bien que mal que, pour moi même s’il le jeu était considéré par beaucoup comme moyen, cela n’allait pas m’empêcher de passer un bon moment puisqu’il coche toutes les cases que je recherche. L’une de ses phrases qui a suivie m’a vraiment interpellé.

Ah ouais, on est en rendu là ? Est-ce qu’on est condamné à devenir des connards élitistes ? Je sais que je vais enfoncer les portes ouvertes, et qu’on vit dans une saucisse. Mais je trouve qu’il est intéressant de prendre le temps de se poser deux secondes sur ça.

Mon ami n’a pas tort, et son constat est tout à fait vrai. On n’a plus le temps. On n’a plus le temps de consacrer des après-midis et des week-ends entiers à poncer un jeu comme quand on avait 15 ans et seulement la future dissert de maths comme préoccupation première. Plus les années passent, plus la courbe de sorties grimpe (il y a eu plus de jeux sortis sur Steam par mois en 2024 que pendant toute l’année 2014) alors que mon temps de jeu baisse lui drastiquement. Si la pandémie a été une période dorée pour le jeu vidéo et le temps de jeu (ce qui cause plus ou moins sa perte aujourd’hui), les choses reviennent à la normale depuis quelques années.

Le docu de Konbini offre un bon résumé de la crise que traverse l’industrie du jeu vidéo actuellement.

Donc, plus que jamais, le travail de curation de la presse JV et des influenceurs (mot fourre-tout qui inclus les blogueurs, youtubeurs, streameurs ou instavidéastes comme me suggère malicieusement Antidote…) est parfois primordial pour s’y retrouver dans cette avalanche de titres. Alors qu’un jeu “neuf” dématérialisé se moyenne aujourd’hui plus de 70 dolls, avoir un avis objectif sur notre prochain investissement du mois est plus que bienvenue. Quitte à se fier parfois aux reviews de joueurs qui ont lâché le jeu très vite ou encore pire, ceux qui sont partis en croisade idéologique contre tout ce qui est estampillé Woke ou DEI par quelques incels intoxiqués à la haine et à l’hygiène douteuse.

Mais doit-on pour autant oublier les jeux juste moyens, voire pires, juste bien ?

En écrivant ces maigres lignes, une anecdote m’est revenue. Lorsque j’ai eu la chance de travailler pour la presse JV, je me souviens être arrivé un matin heureux, mais fatigué d’avoir passé la nuit à jouer avec mes amis à Overwatch qui venait tout juste de disrupter le hero-shooter. Lorsqu’un autre membre de la rédac me questionne sur mon jeu du moment et que je lui confie ma nouvelle lubie, celui-ci a pris soudain un air abasourdi avant de me répliquer : “Tu sais que c’est un 7? Pourquoi tu perds ton temps sur ce jeu ?” Bon déjà, appréciez l’ironie quand on sait le parcours qu’a eu ce jeu sur les années suivantes (certes, avec une deuxième partie de vie plus ou moins chaotique), mais surtout, cela me fait dire que cet état d’esprit est plus ou moins ancré depuis un bout. S’il a toujours été présent, il fait de plus en plus consensus pour beaucoup. On n’a plus le temps pour les jeux moyens, on ne veut que l’excellence.

Sortir de la meta critique

I've been playing a bunch more Avowed (after a break while traveling last week) and hey it still fucking rules!!! It's a joy to smash enemies and unravel side quests and explore every nook and cranny for sparkly treasure chests and fun little parkour challenges. Plus you can summon a bear

Jason Schreier (@jasonschreier.bsky.social) 2025-02-20T16:59:40.771Z
J’ai joué un peu plus à Avowed (après une pause durant un voyage la semaine dernière) et il est toujours aussi incroyable ! C’est un plaisir d’écraser les ennemis, de dénouer les quêtes secondaires et d’explorer chaque recoin pour trouver des coffres à trésors scintillants et des petits défis de parkour amusants. Et en plus, on peut invoquer un ours.

One of the things I really love about Avowed is that it never feels like it's wasting your time. It knows exactly what it wants to do — no more, no less. Reviews docked it for not offering innovation or sprawling systems, but that focus is what makes it great

Jason Schreier (@jasonschreier.bsky.social) 2025-02-20T23:45:13.876Z
L’une des choses que j’aime vraiment dans Avowed, c’est qu’il ne donne jamais l’impression de vous faire perdre votre temps. Il sait exactement ce qu’il veut faire, ni plus ni moins. Les critiques l’ont blâmé pour son manque d’innovation ou ses systèmes tentaculaires, mais c’est cette orientation qui le rend génial.

Les exemples de jeux tombés au champ d’honneur de « Ouais mais pas assez bien pour que j’y consacre mon temps » sont nombreux. Autant il existe certaines catastrophes industrielles qui peuvent légitimer un dédain de la part de certains joueurs et des médias (Concord, Anthem et autres caprices de certains studios de vouloir imposer leur vision du JV à base de live-service). Autant ce dédain peut sembler inapproprié pour d’autres titres avec de bonnes critiques.

On ne compte malheureusement plus les jeux incroyables, riches en récits et marquants dans leur gameplay ayant pourtant manqué le coche, clouant ainsi parfois le dernier clou du cercueil de leur équipe voir carrément du studio. Des jeux condamnés à se faire connaitre qu’au détour d’une solde Steam. L’exemple le plus récent, et qui fait presque écho à Avowed, est bien sûr Dragon Age: The Veilguard. Déjà fortement amoché par les gamergateaux du dimanche dans leur nouvelle croisade anti-DEI, le jeu n’aura pas su convaincre les joueurs malgré des critiques plutôt bonnes.

La page OpenCritic de Dragon Age: The Veilguard

Doit-on laisser le destin de ces jeux aux bandeurs de Metacritic « si ce n’est pas au-dessus de 90 c’est de la merde » et autres gamergateux qui mitraillent tous les jeux estampillés woke sur leur obscure liste Excel?

À la recherche du Oblivion perdu

Je reviens à Avowed.

Je suis un joueur très nostalgique. Non pas dans le « c’était mieux avant », mais dans cette recherche incessante de retrouver mes sensations qui m’ont fait aimé ce medium. L’un de ces jeux qui m’a profondément marqué durant ma jeunesse, ce fut Oblivion. Si j’avais seulement effleuré cette sensation avec Morrowind, c’est vraiment le 4e épisode des Elder Scrolls qui m’a marqué au fer rouge et a obsédé mes nuits et mes journées de cours. Cette sensation de me perdre dans un univers, de vivre des émotions à travers mon avatar et d’obséder mes journées au point de parcourir des forums à la recherche des théories, explications et autres récits de joueurs.

Une simple écoute de la B.O d’Oblivion et me voilà transporté vers d’autres lieux.

C’est ce que je recherche depuis à chaque fois que je lance dans un nouveau jeu. Et croyez-le, ce ne sont pas BG3 et autres prétendants au GOTY dans lesquels j’ai enfin pu retrouver cette sensation que je cherche tant. Mais bien des jeux “bien, mais sans plus” pour beaucoup, voir archaïque et anachronique. Dread Delusion et Lunacid, fiers représentants de la mouvance low-poly Playstation qui secoue la scène indé depuis quelque temps m’ont fait retomber en amour avec ces RPG simples, sans fioritures et juste agréable à jouer. Des jeux où on se surprend à jouer à l’ancienne, à l’instinct, sans forcément suivre de wikis et autres guides, histoire d’avoir la meilleure fin ou de ne pas louper de succès. Une arme, quelques sorts, une vague idée de notre destination et un journal de quêtes un peu trop rigide. Est-ce que ce n’est pas ça, finalement la recette du bonheur ?

« Avowed représente quelque chose de positif. Une réponse à la folie qui dit que chaque jeu doit rapporter un milliard de dollars par semaine sinon il sera considéré comme un échec. Un témoignage du fait que les grands jeux continueront d’être réalisés tant qu’il y aura des gens qui voudront les faire.« 

On vit dans une darkest timeline où le moindre jeu, qu’il soit un échec, un succès commercial ou d’estime, voire les deux, est souvent suivi du licenciement brutal et sans préavis des équipes. On ne compte plus les histoires déchirantes d’équipe de talents qui ont réussi parfois au prix de sacrifices et de semaines dantesque dans un development hell, à enfin sortir un jeu bon… pour se faire suriner par derrière dans une ruelle sombre quelques temps après. Est-ce qu’on ne devrait pas au contraire saluer ces petits miracles et ces moments de plaisir pour ce qu’ils sont ? De belles expériences voulue par des équipes qui ont respecté jusqu’au bout leurs promesses pour les joueurs ? Quand on sait qu’en face, certains pensent savoir ce que veulent les joueurs (spoiler non) et n’hésiteront pas à lâcher l’épée de Damoclès du layoff pour prouver leurs dires? Quitte à être élitiste, il ne faudrait pas se tromper de cible dans nos critiques.

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