Soyons sérieux, ce n’est qu’un jeu #2

Disclaimer : Cet article a été publié à l’origine sur le webzine Bordelais Slapzine et a été co-écrit avec Adrien Mathieu. Le but était de lier un fait d’actualité avec un jeu vidéo et parler de son traitement vidéoludique. 

Vous en avez entendu parler :

Vendredi 14 novembre, Jean-Luc Mélenchon était l’invité de la matinale de France info. Au détour d’une question, le journaliste demande des éclaircissements au leader du Parti de Gauche sur son avis à propos d’un jeu vidéo sorti la veille, Assassin’s Creed Unity, qui traite d’une thématique chère à l’homme politique : la Révolution française.

La suite, vous l’avez surement entendu

 

« C’est de la propagande contre le peuple. Le peuple, c’est des barbares, des sauvages sanguinaires. Et celui qui est notre libérateur à un moment de la Révolution, Robespierre, est présenté comme un monstre. On dénigre pour dénigrer ce qui nous rassemble, nous les Français. C’est une relecture de l’histoire en faveur des perdants et pour discréditer la République une et indivisible. Cela donne une image de la haine de la Révolution, la haine du peuple, la haine de la République qui parcourt les milieux d’extrême droite ».

Il n’en faudra pas plus pour lancer le débat dans les médias généraux et spécialisés : un jeu vidéo peut-il donner une leçon d’histoire correcte ? Assassin’s Creed Unity donne-t-il une vision juste de la Révolution française ?

Maintenant, jouons !

À plusieurs reprises dans la courte, mais palpitante histoire du jeu vidéo, plusieurs opus se sont servis de Paris comme cadre de leur histoire. Call Of Duty Modern Warfare 3 proposait une map multijoueur au cœur des ruelles de la capitale. Les Chevaliers de Baphomet concentraient leur scénario sur l’ile de la Cité et les catacombes. Bioshock Infinite ouvrait une courte séquence sur un café parisien aux abords de la Tour Eiffel. Mitdown Express 3 permettait aux joueurs adeptes des jeux de course de se la donner dans quelques quartiers de la capitale. Medal of Honor Resistance vous offrait la possibilité de libérer la Ville lumière du joug allemand en 44. Avec Assassin’s Creed Unity nous arrivons à un certain aboutissement : la modélisation complète en 3D de la principale ville française. Un détail crucial cependant : il s’agit ici d’une reproduction de Paris à la fin du XVIIIe siècle. En effet AC Unity prend place au cœur de la Révolution française (1789 à 1794), en respectant la violence et les complots de cette période.

Le Jeu :

assassins-creed-unity-300x168Fiche technique :
Assassin’s Creed Unity
Développé par Ubisoft Montréal.
Existe : sur PC, PlayStation 4, Xbox One

Synopsis : Le joueur incarne Arno Victor Dorian, un jeune homme hanté par une terrible tragédie et qui s’est enrôlé chez les Assassins pour combattre la corruption qui gangrène la France, au temps de la Révolution Française.

Louis XVI en bien mauvaise posture … Parviendrez-vous à le sauver (no spoil) ?
Louis XVI en bien mauvaise posture … Parviendrez-vous à le sauver (no spoil) ?

Après avoir lutté contre les croisés du XIIe siècle, les Borgia au début de la Renaissance, les janissaires de l’Empire ottoman, les Britanniques pendant la Révolution américaine et les corsaires des Caraïbes, Ubisoft vous propose de défier les patriotes. Ces sbires de Robespierre viendront vous traquer même dans les égouts de la capitale. Comme d’habitude dans la série des Assassin’s Creed vous incarnez un assassin, membre d’une secte secrète qui lutte contre les templiers. Ici le personnage principal est Arno, jeune noble parisien qui va vouloir venger la mort de son maitre Monsieur de La Serre, aidé par la fille qu’il aime, une certaine Élise.

Aucune révolution notable pour le premier véritable opus sur console next-gen. Les créateurs du jeu laissent une belle liberté pour l’exploration et notamment les toits ; qui dit Paris dit monuments et le jeu vous offre la possibilité de fouiller les moindres recoins de la Bastille (encore là en 1794, léger anachronisme), le Louvre ou le Panthéon. La principale innovation reste la possibilité de découvrir les maisons et palais dans le moindre détail. Les habitations vétustes regorgent de coffres, de cocardes et d’artefacts tandis que les palais royaux sont incroyablement bien designés. L’impression de réalité historique est renforcée par cette finesse du détail.

La modélisation des monuments est tout simplement époustouflante.
La modélisation des monuments est tout simplement époustouflante.

La prise en main est agréable, les animations d’Arno sont très fluides (Ubisoft a rectifié les bugs de collision et de ralentissement avec 3 mises à jour). Les nombreuses vidéos de bug qui ont circulé sur le net ne doivent pas vous effrayer. Le rendu d’Unity est exceptionnel tout comme l’ambiance qui nous plonge dans le contexte si polémique de ces années « noires ». L’interaction avec son environnement est omniprésente même si l’IA manque de cohérence à certains moments.

Arno comme Connor, Altair ou Ezio précédemment est entièrement personnalisable. De la tête aux jambes en passant par les avant-bras il est possible d’acheter des pièces d’équipement qui permettront à votre perso de s’améliorer. Si au début ces éléments coutent 250 francs, il vous en faudra 100 000 de plus pour enfin devenir un maitre assassin. Autre nouveauté : la possibilité d’améliorer directement ces protections avec des points bonus. Ces derniers peuvent être récoltés à travers de bonnes actions : arrêter un voleur ou empêcher un meurtre. Trois catégories d’armes s’offrent à vous : légères, lourdes et à deux mains. Le jeu offre ainsi plusieurs styles de combat à ne pas négliger tout comme les armes à feu. Si vous prenez l’option fusil vous devrez aussi combattre au corps-à-corps avec, une stratégie risquée en somme.

L’interface du jeu pour gérer Arno est également très agréable.
L’interface du jeu pour gérer Arno est également très agréable.

La gestion de l’équipement est une donnée très importante. Avant de partir en mission il est indispensable de vérifier si vous possédez en quantité bombes fumigènes, lames fantômes et surtout des remèdes. Si l’infiltration et la discrétion sont toujours présentes, les développeurs ont mis l’accent sur la baston pure. Ainsi il n’est pas rare d’affronter une dizaine de soldats qui peuvent vous transpercer d’un coup si vous ne parez pas au bon moment. C’est l’une des nouveautés de cet Assassin’s creed next-gen : vous pouvez mourir beaucoup plus facilement que ce soit par les snipers sur les toits ou les brutes avec leurs haches.

La durée de jeu est assez énorme : comptez bien 10 h de jeu pour finir le scénario principal et 15 de plus pour compléter les quêtes annexes et l’exploration de Paris. Les missions principales sont constituées de 12 séquences qui se terminent toujours par l’assassinat d’un templier. C’est bien l’une des faiblesses du jeu : le manque de variation dans les missions. Quand Black Flag proposait des combats navals, des pillages de grange et de la pêche, Unity revient aux fondamentaux et se contente de faire de vous un meurtrier.

Pour le reste, on notera les habituelles quêtes secondaires qui se divisent en histoires parisiennes, en énigmes à résoudre et surtout des enquêtes de meurtres. Ces investigations sont une nouveauté à ne pas négliger. Arno se transforme en détective et se met à traquer des tueurs, ces missions ressemblent au gameplay de Batman Arkham City. Enquête la plus jouissive : résoudre le meurtre de Jean-Paul Marat. Les plus férus d’histoire connaissent sans doute la réponse …

L’ami du peuple n’est plus, Mélenchon va encore gueuler.
L’ami du peuple n’est plus, Mélenchon va encore gueuler.

Les histoires parisiennes vont permettre aux joueurs de retrouver de grandes figures de la Révolution française. On doit aider Champollion à retrouver sa Pierre de Rosette, Danton à s’évader d’une prison, récupérer les travaux scientifiques de Lavoisier et aider Napoléon à passer une bonne soirée romantique avec sa Joséphine. Si les anachronismes sont légion et feront bondir les plus pointilleux, il faut cependant rappeler qu’Ubisoft produit une « œuvre de fiction ». S’en tenir aux faits réels pour un tel jeu représente un gâchis tant cet opus nous régale les yeux et l’esprit. Avec son encyclopédie bien foutue et ses vannes historiques, Unity nous fait même découvrir des faits de l’histoire de France sous un autre angle, un peu à la Fred et Jamy de C’est pas sorcier.

Le mode Coop se divise en deux types de missions : voler de l’argent à un riche templier ou assassiner de précieuses cibles. Si le contenu ne varie du mode solo, en revanche l’accent est mis sur la discrétion. Si vous arrivez en grande pompe pour zigouiller tout le monde, les bonus sont divisés par deux. La coopération en silence est donc indispensable, permettant aux plus fins stratèges de s’exprimer. Pour une première on aurait souhaité un contenu plus étoffé. Ces courtes escapades entre amis nous laissent sur notre faim.

D’accord, mais qu’est ce qu’on a appris ?

Le jeu comme les autres opus de la franchise Assassin’s Creed s’est évidemment très bien vendu, il est toujours dans le top des ventes début décembre et Nöel approchant, le jeu s’écoulera sans problème à des millions d’exemplaires (10 millions pour Black Flag, son prédécesseur). AC:Unity comme ses grands frères, se retrouvent donc dans la ludothèque de bons nombres de personnes à travers le monde. Ces dernières vont-elles réellement apprendre quelque chose sur une période historique controversée ?

Comme l’a explicité un témoignage d’un historien qui a pu jouer à AC:Unity avec les journalistes de Rue 89, le jeu présente une vision erronée et une interprétation plutôt orientée vers la violence. Il ajoute cependant quelque chose d’essentiel : « Un tel jeu vidéo pourrait servir de support pédagogique pour des cours au collège et au lycée. Il permettrait de faire comprendre aux élèves le Paris d’époque. Il faut prendre les jeux vidéo au sérieux […] C’est un nouveau moyen de faire vivre le passé. »

Car oui, comme démontré dans le test, le point fort de cet opus, c’est son attachement à la réalité et sa modélisation du Paris Révolutionnaire. Que ce soit par les monuments, les protagonistes, l’ambiance. Le jeu et la franchise AC nous plongent sans cesse dans un passé, avec beaucoup plus d’efficacité que n’importe quel manuel historique.


La très sérieuse revue Historia a d’ailleurs collaboré avec Ubisoft afin de consacrer son numéro de novembre aux évènements de la Révolution française. Des historiens ont présenté leurs travaux tout en les liant avec le scénario d’AC:Unity. Et cela ne les gêne pas, au contraire. Cette initiative avait déjà été réalisée lors de la sortie du précédent opus Assassin’s Creed Black Flag, qui traitait de la piraterie dans les Caraïbes. Il faut donc y voir avant tout un véritable complément pédagogique du jeu, même si rappelons-le, il y a bien déjà l’existence d’une base de données dans le jeu qui donne des faits tout à fait justes.

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Alors oui les anachronismes sont nombreux et quelques médias comme Le Monde se sont amusés à les recenser. Oui, dans le jeu, il y a bien une certaine vision de la révolution qui répond à des besoins narratifs, comme personnifier Robespierre en « méchant ». Mais n’est-il pas pareil au Cinéma ? Ou en Littérature ? Une vulgarisation et une mise en scène qui doivent marquer le joueur/spectateur de son expérience avec cet objet culturel, passe forcement par des anachronismes et des orientations.

La série Assassin’s Creed dont l’univers est d’inspiration historique, reste avant tout fictive. Un des producteurs d’Ubisoft l’a d’ailleurs rappelé : « Assassin’s Creed est un jeu vidéo grand public, pas une leçon d’histoire ». La franchise n’a jamais eu cette légitimité et ne la revendiquera sûrement jamais. Il faut donc voir l’objet AC tel qu’il est. Une fiction, un jeu, mais qui a du potentiel de complément pédagogique par sa nature. Et certains comme Jean Luc Mélenchon l’ont oublié.

Il ne faut cependant pas jeter des pierres, des tomates et conduire JLM à La Lanterne pour autant comme l’ont fait certains médias spécialisés ou la sphère gamer qui s’offusque à la moindre attaque sur leur église. Car Jean-Luc Mélenchon a reconnu quelque chose de très important. Quelque chose de fondamental qui est passé presque inaperçu : le pouvoir culturel d’un objet comme le jeu vidéo et sa reconnaissance en tant qu’art. « Je considère le jeu vidéo comme un art à part entière (…) [qui] a déjà ses chefs d’œuvre. Le jeu a toujours été une affaire très sérieuse. Contrairement aux apparences superficielles, le jeu n’est jamais gratuit au sens où il serait sans motivation, sans finalité et sans résultat ». Et là, est la réelle avancée de cette polémique Assassin’s Creed.

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