Mid90s, traduit chez nous 90’s (ou Été’95 chez nos amis québécois, pourquoi ? Parce que transatlantique) est le premier film réalisé par Jonah Hill. Habituellement trublion de service chez Judd Apatow ou la bande à Rogen, l’acteur s’est depuis épanoui dans des rôles plus dramatiques qui lui ont valu nominations et succès critique (notamment chez Martin Scorsese, les frères Coen ou plus récemment Harmony Korine). En enfilant la veste de réal’, Jonah Hill a choisi d’aborder pour son premier long-métrage le sujet de l’adolescence par le prisme d’une pratique bien ancrée dans l’imaginaire jeune : le skateboard.
Hill Bomb
En plein été californien à Los Angeles, on y suit donc le jeune Stevie, 13 ans, en recherche d’identité entre une mère absente (Katherine Waterston) et un frère violent et caractériel (Lucas Hedges). Au bon endroit et au bon moment, c’est en assistant à une banale dispute entre des skateurs et un commerçant que celui-ci va trouver une planche de salut et va se décider à devenir l’un d’eux.
Bien plus qu’un simple passe-temps de « cool kid« , le skateboard apporte alors à Stevie incarné par le jeune Sunny Suljic, un véritable outil de sociabilisation et d’ouverture au monde. L’apprentissage de la vie par cette pratique sonne juste puisqu’elle déborde d’authenticité autant dans le contexte que dans l’exécution. L’esprit communautaire de cette bande de cinq gamins aux origines différentes, liés par un lien mystique alors qu’ils n’auraient sûrement jamais dû se côtoyer fonctionne sans artifices.
Les frasques de Steven dit Sunburn, Fuckshit (Olan Prenatt), Ray (Na-kel Smith), Fourth Grade (Ryder McLaughlin) et Ruben (Gio Galicia) qui décident de vivre leurs jeunes années jusqu’à l’excès, s’enchaînent entre deux sessions rouli-roulantes, le tout sans fausse note et exagération. Premières bitures, premiers émois sexuels, première peines… Cette perte de l’innocence et ces nouvelles expériences, pourtant facilement caricaturables dans un film estampillé teenmovie sont ici dépeints avec justesse. Le tout porté par un casting inconnu, recruté avant tout pour leurs habileté sur quatre roues. Ne vaut-il mieux pas apprendre à des skateurs à jouer la comédie plutôt que l’inverse ? C’est ce qu’a choisi le réalisateur et c’est un pari qui s’annonce gagnant lorsque l’on découvre les performances et l’authenticité de ces jeunes acteurs, avec une note particulière sur Na-kel Smith en chef de meute et petit prodige du skate.
Mongovision
Pour les skateurs, qui contre toute attente ne sont pas la véritable cible de ce film, c’est tout de même du pain béni. C’est simple, on avait pas eu droit à un film aussi réussi sur la culture skate depuis l’année 2004-2005 où sont sortis successivement Les Seigneurs de Dogtown (de Catherine Hardwicke sur un scénario écrit par Stacy Peralta) et Wassup Rockers de Larry Clark ( déjà rompu à l’exercice avec Kids ou encore Ken Park).
Période charnière pour le monde du skateboard, c’est avec les années 90 que la pratique sort alors du carcan de passe-temps pour surfeur blondinet des années 70 et envahit la rue. Déjà entamé dans les années 80, la naissance d’un véritable circuit pro (avec l’avènement de figures comme Tony Hawk) et la diffusion des prouesses via des films vite devenue culte, contribue à la popularité du skate chez les jeunes des années 90.
Le développement du streetwear grâce à de nombreuses marques (mis en avant dans le film comme Chocolate, GIRL ou Toy Machine) aide à la démocratisation de cette pratique, et cela à travers toutes les classes sociales. L’attrait pour le circuit pro est de plus en plus fort chez les jeunes skateurs (à l’image du personnage de Ray dans le film qui en fait un objectif de vie) et on hésite pas à filmer sans cesse les sessions et les tranches de vies entre potes à travers un objectif fisheye , vite devenue une marque de fabrique des créations audiovisuels du skate.
This is how we chill from 93 ’til
Ainsi l’autre réussite de Mid90s réside dans sa dimension documentaire, presque comme une authentique VHS dénichée dans un caméscope oublié. En choisissant de filmer avec un format 4:3 et en 16mm, Jonah Hill et son directeur de la photo Christopher Blauvelt donnent un grain certain et une dimension meta aux aventures de cette joyeuse bande à part.
Le tout appuyé par une reconstitution de l’ambiance des années 90 : couette Tortues Ninja, fascination pour le Wu-tang épinglé autant sur les murs que sur les t-shirts, CD’s empilés sur des étagères, parties endiablées sur Super Nintendo et Playstation. Jonah Hill retrace avec un côté quasiment autobiographique une enfance d’un ado de cette décennie , sans pour autant tomber dans la facilité sous couvert de nostalgie que l’on pourrait incomber à certains productions estampillés Netflix.
Ce voyage temporel passe aussi par l’un des autres points forts indéniable du film, sa bande-son. En plus des créations de Trent Reznor et Atticus Ross (qui sont du même acabit et de la même qualité que la B.O de The Social Network ), le film nous offre une véritable compil’ éclectique et réussie de ce qui pouvait sortir à l’époque d’un Walkman d’un jeune de L.A ou d’un ghetto blaster de skateshop. On y côtoie icônes du hip-hop US (Wu-tang, A Tribe Called Quest, Nas, Big L ou encore Del the Funky Homosapien qui fait d’ailleurs un caméo dans le film) en passant par l’Unplugged de Nirvana, le punk de Misfits, les Pixies et autres Morrissey.
Par ses choix assumés, son côté documentaire et cette facilité de dérouler ce récit d’amitié emporté par un cast touchant de sincérité, Jonah Hill réussit son pari et replaque avec brio cette figure de style qu’est Mid90s. Un teenmovie à la fois optimiste et percutant qui, espérons le, n’est que le premier d’une longue série de réussites de la part du réalisateur.
Mid90s (2018)
Réalisé par Jonah Hill
Avec Sunny Suljic, Olan Prenatt, Na-kel Smith, Ryder McLaughlin et Gio Galicia